Le problème du pouvoir constituant

Dans le dernier chapitre de son livre « bureaucratie », David Graeber nous livre une analyse passionnante des superhéros des comic books et des scenarios de films de ce genre. Cette analyse est l’occasion de poser plaisamment quelques questions fondamentales sur les pouvoirs, leur légitimité et leur articulation avec la violence physique et institutionnelle. Ce sujet est totalement en phase avec la vocation initiale de ce blog. Lire la suite

Deux conceptions de la monnaie

Je vous propose un extrait du livre de l’anthropologue américain David Graeber « Dette : 5000 ans d’histoire ».

Nous découvrons que l’histoire a eu tendance à osciller entre les périodes dominées par le lingot – où l’on postule que l’or et l’argent sont la monnaie – et d’autres où l’on définit la monnaie comme une abstraction, une unité de compte virtuelle.

Mais, historiquement, la monnaie de crédit est antérieure, et nous vivons aujourd’hui un retour à des postulats qui auraient été perçus comme des lieux communs évidents au Moyen-âge ou même dans la Mésopotamie antique.

L’histoire apporte des éclairages fascinants sur ce qui nous attend peut-être. Par exemple : dans le passé,  les ères de monnaie virtuelle ont presque invariablement coïncidé avec la création d’institutions chargés de prévenir le dérapage total – d’empêcher les prêteurs de s’allier avec les hauts fonctionnaires et les politiques pour mettre tout le monde sous pression, comme ils semblent le faire aujourd’hui. Elles s’accompagnaient d’autres institutions conçues pour protéger les débiteurs. Quant à la nouvelle ère de monnaie à crédit où nous nous trouvons, il semble que nous y soyons entrés à reculons. Elle a commencé par la création d’institutions mondiales comme le FMI, qui visent à protéger, non les débiteurs, mais les créanciers. En même temps, à l’échelle historique où nous nous situons ici, une décennie ou deux ne comptent pas. Nous avons une très faible idée de ce qui va suivre.

Quand l’Etat-Nation n’existe pas

David Graeber, anthropologue et militant anarchiste américain, dans son livre « Dette, 5000 ans d’Histoire », revisite un certain nombre de concepts qui nous semblent évidents.

Parmi eux, la notion de société telle que nous la connaissons:

« Voici le postulat qui rend si fallacieux le concept de société : le monde est organisé en une série d’unités compactes, modulaires, nommées « sociétés », et chacun sait dans laquelle il se trouve. Dans l’Histoire, ce cas de figure est très rare. Je suis un marchand arménien chrétien sous le règne de Gengis Khan. Qu’est-ce que la « société » pour moi ? La ville où j’ai grandi ? La société des marchands internationaux (avec ses codes de conduite élaborés) dans laquelle je mène quotidiennement mes affaires ? Les locuteurs de l’arménien ? La Chrétienté  (ou peut-être la seule chrétienté orthodoxe) ? Ou les habitants de l’empire mongol qui s’étendait de la Méditerranée à la Corée ? Historiquement, les royaumes et les empires ont rarement été les points d’ancrage les plus importants dans la vie des gens. Les royaumes naissent et meurent ; ils se renforcent et s’affaiblissent ; les Etats font parfois sentir leur présence assez sporadiquement dans la vie des populations, et beaucoup de gens, au fil de l’histoire, n’ont jamais été tout à fait sûrs de l’Etat où ils se trouvaient. Jusqu’à une date très récente, de nombreux habitants de la planète ne savaient jamais vraiment dans quel pays ils étaient censés être, ni pourquoi c’était important. »

Avec un tel  décentrement, nous pouvons mieux discerner ce qui caractérise notre société actuelle et intuiter ce qu’impliquent ses évolutions potentielles. Nous sommes au coeur de notre sujet.