Oui, le ministre des finances grec est un beau gosse, médiatique et pied dans le plat. Il agace. D’ailleurs les ternes ministres des finances des autres pays de la zone euro ne comprennent pas qu’un ministre grec la ramène et l’austère Wolfgang Schauble, le ministre des finances allemand, ne le supporte pas.
C’est aussi un économiste hors normes.
Je viens de terminer la lecture de son livre « le minotaure planétaire ». Il s’agit d’un excellent ouvrage de vulgarisation.
Il retrace l’histoire financière mondiale depuis la seconde guerre mondiale. En particulier, l’organisation monétaire internationale et le mécanisme mondial de recyclage des excédents. Le premier sujet n’est pas nouveau. Il s’agit du système issu de la conférence de Bretton Woods et de son effondrement. Le deuxième est plus original, surtout pour un béotien comme moi. Il explique comment les Etats-Unis pays vainqueur et commercialement excédentaire a décidé de recycler ses excédents sous forme d’investissements en Europe (plan Marshall) et au Japon (contexte de la guerre de Corée). Objectif : stabiliser le monde et l’organiser autour des Etats-Unis en s’appuyant sur deux relais l’Allemagne dont l’espace vital sera une Europe intégrée enfin assagie car sous contrôle et le Japon dont l’espace vital ne pourra pas être la Chine basculant sous la houlette de Mao mais l’Asie du Sud-Est. Ces deux nations seront rapidement excédentaires.
Tout bascule dans les années 70 où les excédents s’inversent : le décrochage de la parité fixe de 35 $ l’once d’or, la guerre du Viêtnam, la hausse des prix du pétrole et la montée en puissance des excédents allemands et japonais font naître aux Etats-Unis les déficits jumeaux (budgétaire et commercial). Ces déficits jumeaux américains seront viables grâce au statut particulier du dollar et à la puissance militaire américaine. En effet, le dollar et les actifs américains sont des valeurs de réserve fiables.
Le génie des dirigeants américains de l’époque est d’avoir bâti en une décennie douloureuse un nouveau système de recyclage des excédents totalement inverse du précédent et reposant sur le fameux « privilège exorbitant du dollar ». Ainsi est né le minotaure planétaire. Les excédents des nations excédentaires (Europe, pays du Golfe, Japon puis Chine) sont recyclés soit en investissements directs, soit via Wall Street. Ainsi se développent avec ce flot de liquidités convergeant vers les Etats-Unis la financiarisation de l’économie et la consommation à crédit encouragées par la dérèglementation du système financier. L’innovation financière favorise le développement de quasi-monnaies privées (actifs notés triple A très demandés donc fortement liquides).
Ce système s’est avéré assez stable pendant une trentaine d’années jusqu’à la crise de 2008.
Depuis, le minotaure gravement blessé ne joue plus son rôle, non pas que les déficits jumeaux n’existent plus car ils sont plus forts que jamais mais la stabilité est durablement perdue.
Pour Varoufakis, seuls les Etats-Unis ont la dimension nécessaire et la tradition politique pour bâtir un nouvel ordre mondial.
Un morceau d’un chapitre du livre est consacré à la zone euro dont la faiblesse constitutive est de pas avoir conçu la manière de recycler les excédents des pays du nord. Des propositions assez précises sont formulées pour y remédier faute de quoi la zone euro ira lentement vers la désintégration.
En conclusion, on peut débatre de ses performances d’homme politique et de négociateur (l’histoire n’est pas finie), mais Varoufakis est un esprit brillant. Je vous conseille donc la lecture de son livre.