La crise grecque racontée à mes enfants

Comme on nous raconte des histoires pour enfants dans la presse à propos de la crise grecque, je me suis dit que ça m’autorisait à m’occuper moi-même de l’instruction de mes propres enfants.

Je ne remonterai ni à Platon, ni à la révolte grecque contre l’empire ottoman.

Je ne remonterai pas non plus à l’occupation nazie, ni à la répression anti-communiste, ni au régime des colonels mis en place par les puissances occidentales. Bien que ces événements restent encore vivaces dans la mémoire collective grecque.

On commencera par la création de la monnaie unique, l’Euro. La France ne voulait pas laisser Platon à la porte de l’Europe. Réthorique discutable à laquelle n’étaient pas très sensibles les Allemands. À mon sens à juste titre.

Etant redevenue une démocratie parlementaire après la chute des colonels, elle pouvait devenir l’exemple à suivre dans le cadre de l’intégration européenne. L’Euro étant le stade suprême de l’intégration européenne.

La Grèce était depuis longtemps dirigée par une classe politique corrompue. Celle de l’époque n’a pas failli à sa réputation et a trafiqué les comptes de l’état grec afin de satisfaire aux critères de Maastricht. Cela nécessitait des outils financiers adequats qui ont été mis au point par la banque Goldman Sachs. Le président de cette banque à l’époque s’appelait Hank Paulson, futur secrétaire au Trésor américain de G.W.Bush et le directeur de l’antenne européenne s’appelait Mario Draghi, futur président de la Banque Centrale Européenne. Rien ne prouve qu’ils ont été directement impliqués dans cette affaire. Ils étaient simplement dirigeants de la banque en question.

Curieusement, Eurostat, l’institution européenne de statistiques économiques, ne s’est aperçu de rien…

Les débuts de l’Euro ont été euphoriques. Les nations du sud de l’Europe avaient accès à des crédits à taux bas (des taux d’intérêts allemands en quelque sorte). Jusqu’à ce que la crise des subprimes casse la machine de l’endettement (enfin, pas tout à fait, mais dans ces pays, oui).

S’en est suivie une période de sauvetage en catastrophe des banques ayant prêté et investi sans discernement. L’exemple le plus connu de ces investissements hasardeux est l’immobilier espagnol.

La Grèce n’a pas échappé à ce désastre des dettes irrécouvrables. Dettes privées et aussi dette publique. Des banques européennes allaient prendre le bouillon en 2010. Leurs créances ont été transformées en créances publiques mais c’était trop pour ce pays déjà endetté à près de 100% de son PIB. Et il a fallu en conséquence sauver la Grèce pour sauver l’Euro. En 2012, rechute puis décote de ce qui restait de dette privée.

Les contribuables européens sont ainsi devenus les créanciers des contribuables grecs, eux-mêmes insolvables, les dirigeants européens, A.Merkel et N.Sarkosy en tête, ayant prêté de l’argent à un état en faillite.

La fraude fiscale sévissant en Grèce à l’état endémique, y compris dans les plus hautes sphères de la société grecque, on aurait pu penser que ce sujet avec celui de la corruption de la classe politique serait un trait essentiel du plan de redressement du pays.

En fait, c’est un plan d’austérité qui a été appliqué à l’instar de l’Irlande, l’Espagne et le Portugal. Le PIB a chuté, le chômage a explosé,  les revenus ont baissé. Si bien que le rapport dettes/PIB a continué à augmenter. Comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe. Au point que certains économistes américains considèrent la zone Euro comme le trou noir de l’économie mondiale. Le FMI lui-même reconnait que ce fut une erreur par la voix d’Olivier Blanchard.

Point positif et non des moindres, le budget grec est passé en léger excédent primaire (avant paiement des intérêts de la dette). Point négatif (sombre), l’état sanitaire du pays s’est fortement dégradé.

Les gouvernements grecs successifs et la population grecque ont accepté cette austérité pour préserver l’appartenance à l’Euro.

Cependant les effets sur la population grecque ont été tels qu’ils ont fini par élire un gouvernement de gauche radicale. Et c’est là que l’actuelle crise grecque commence.

L’accueil a été glacial au sein de la classe politique européenne. Le tout nouveau président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker a prévenu dès le lendemain dans une interview accordée au Figaro.  » il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».

Pour rappel, Jean-Claude Juncker a été, pendant plus de 10 ans, premier ministre du Luxembourg, paradis fiscal au sein de l’Europe. Interrogé à ce propos suite aux révélations dites Luxleaks, il ne semblait pas très au courant de ce qui se passait dans son pays.

Qu’est-ce que le parti Syrisa ?

Il s’agit d’une coalition de personnes ou de groupes d’origines un peu diverses mais essentiellement de gauche ou d’extrême gauche. Il se distingue cependant du parti communiste grec réputé « néo-stalinien ». Son homogénéité n’est pas assurée et sa position reste majoritairement favorable à l’Union Européenne et à l’Euro mais pas à 100%.

Sa campagne électorale s’appuie sur le renationalisation des sociétés privatisées, la protection des plus démunis et la remise en question de la dette publique.

À l’issue des élections, Syrisa n’ayant pas la majorité au parlement s’allie avec les Grecs Indépendants, parti de droite souverainiste, qualifié abusivement d’extrême droite. Cette alliance incomprise hors de Grèce peut s’expliquer par un but commun de reconquête de la souveraineté du pays.

Ses premières mesures, une fois élu, sont plus nuancées : arrêt des privatisations non entamées, remise en route de certaines protections sociales.

Vis-à-vis des institutions créancières, sa position est de redéfinir les relations avec ce qui se dénomme la Troïka  (FMI, BCE, Commission Européenne) en remettant en cause notamment un fonctionnement intrusif.

Le nouveau gouvernement honore les échéances de remboursement des prêts accordés aux gouvernements précédents. Mais il refuse une reconduction à l’identique de ces accords. Ne refusant pas le principe de réformes de l’état et de la société grecque, il entend cependant les concevoir lui-même en s’inspirant des principes à l’origine de son succès électoral.

L’objectif des négociateurs grecs sera de négocier un accord viable, c’est à dire des réformes mais aussi un plan d’investissement et une restructuration de la dette, celle-ci ne pouvant être remboursée par de simples excédents budgétaires, ceux-ci pouvant dans le meilleur des cas servir les seuls intérêts de la dette. Pour eux, seul un accord global serait réaliste dans l’intérêt bien compris de tout le monde. Les négociateurs européens voulaient de leur côté s’en tenir à une logique argent frais contre réformes.

Le nouveau ministre des finances grec, Yanis Varoufakis, professeur d’économie à l’Université du Texas, europhile convaincu, conduira les négociations, confiant dans ses convictions, la nécessité de réformer le fonctionnement de la zone Euro et le réalisme de ses positions. Il se heurtera immédiatement à l’hostilité de ses pairs et à une campagne de presse carabinée. Le choc est frontal avec le ministre des finances allemand, Wolfgang Schauble. Il finira par être remplacé au bout de plus de quatre mois d’affrontements.

Dans le même temps, les dossiers sensibles sont ouverts. Des poursuites en justice pour corruption ou fraude fiscale sont engagées à l’encontre d’oligarques grecs et d’entreprises étrangères.

Une commission est nommée pour analyser l’origine, la légalité et la légitimité de la dette publique. Cette commission a rendu ses conclusions et son rapport pourrait constituer une base sérieuse pour des recours en justice.

Mais les négociations avec les créanciers n’avancent pas. À chaque séance, les grecs rajoutent des concessions, se rapprochant des propositions européennes sans toutefois franchir ses lignes rouges (retraites et TVA) mais se heurtent à chaque fois à la même réponse : « le compte n’y est pas ». Le sujet de la dette est à chaque fois exclue. La demande de Varoufakis de ne plus dépendre de nouveaux prêts mais de discuter de la manière de relancer l’économie , n’est pas prise en compte.

Les grecs concèdent qu’il faudra un jour réformer les retraites mais que ce n’est pas le moment.

Le gouvernement gec prend des contacts directs avec le FMI, l’OCDE, la Russie avec laquelle il signe un accord sur un projet gazier, etc.

Le sujet des dommages de guerre subis par la Grèce est rouvert. La restructuration de la dette allemande en 1953 est évoquée.

Les négociations trainent donc en longueur et les grecs, inquiets, vident leur comptes en banque. Les banques grecques sont quasiment en faillite et dépendent des liquidités accordées par la BCE en échange d’actifs obligataires à des taux plus élevés que dans le cadre du « QE ». Ces liquidités d’urgence (ELA dans le jargon BCE) sont plafonnées.

L’impasse est telle que Tsipras jette l’éponge et décide de soumettre les propositions européennes à référendum. Le noeud coulant se resserre alors sur les banques. Les retraits s’accélèrent mais le plafond de l’ELA est maintenu. Le contrôle des changes est imposé et les transactions internationales sont suspendues pour les entreprises grecques.

La Grèce fait défaut sur le remboursement de juin au FMI.

À la surprise générale, le non aux propositions européennes l’emporte largement (61%).

Les restrictions financières sont maintenues par la BCE.

Le gouvernement commet alors une erreur fatale. Se croyant renforcé par le référendum et considérant que son mandat est de rester dans la zone Euro, il accepte les propositions européennes et attend en retour des concessions sur la dette. Lors des négociations des 12 et 13 juillet, il se fait laminer et se voit contraint d’accepter un accord plus défavorable que tout ce qui lui avait été demandé jusqu’alors. Des clauses suspendant la souveraineté de la Grèce au profit des créanciers sont incluses dans l’accord.

Cet accord est un pré-accord. Il renforce les mécanismes déflationistes, il rajoute de la dette à la dette et les chiffres, notamment du fonds dédié aux privatisations sont surestimés. Il est un préalable aux négociatons techniques et ne prévoit pas de prêt relais. Les banques ne peuvent pas être rouvertes normalement.

Le lendemain, le FMI désavoue l’accord en publiant une déclaration sur la nécessité de restructurer la dette grecque. Les Etats-Unis, inquiets, s’intéresse de plus près au dossier. La prochaine échéance de remboursement est le 20 juillet vis-à-vis de la BCE et la Grèce n’a plus de liquidités.

La crise n’est pas terminée.

À l’issue de ce récit, je dois faire deux remarques importantes.

1) je reconnais la difficulté de constituer un travail de synthèse sérieux et objectif. Je ne cache pas ma sympathie pour une équipe grecque dont je ne suis pas proche politiquement mais qui avait pour elle de ne pas être corrompue et d’être constituée de personnalités brillantes et courageuses. Pour autant, la situation étant pour le moins complexe, il faut rester objectif et mettre en ordre une information riche et contradictoire. Ne pas tout dire pour rester clair et ne rien cacher. Les commentaires seront les bienvenus.

2) je ne crois pas à un accord viable dans le cadre de la zone Euro. C’est la position tenue par de nombreux économistes, en particulier deux prix Nobel d’économie américains. Valery Giscard d’Estaing préconise une sortie amicale de la Grèce de la zone Euro. Il est illusoire de croire que des pays différents et ne partageant ni fiscalité, ni couverture sociale puissent durablement partager la même monnaie. Il faudrait pour que ça tienne le choc effectuer des transferts financiers des pays du nord vers les pays de sud. Ce prix est exorbitant et il est normal que l’Allemagne ne veuille pas la payer car elle ne le peut pas. Il faut donc s’attendre à des crises à venir.